J'ai hésité longtemps avant de t'écrire ce qui va suivre mon Illou, et surtout à te le donner aujourd'hui.
Mais je crois que tout compte fait, c'est le bon moment,
Mais si d'aventure je me trompe, alors surtout ne le lis pas ce soir:-)
Je vais te « raconter » mon grand-père Illou.
Je vais te parler de mon pépé René à moi.
Je l'ai aimé très fort tu sais, et je l'aime encore autant.
Je l'ai encore plus aimé je crois, le jour où j'ai appris qu'il n'était pas mon « vrai » grand-père.
Mon vrai grand-père, c'est l'italien, le violent, le tyran domestique, la brute qui a ramené l'enfer sur terre,
Je ne l'ai pas connu, n'en ai jamais eu l'envie,
Il est mort il y a cinq ou six mois, et très honnêtement la nouvelle de son décès m'a laissé de marbre.
Comme le reste de la famille, du moins celle qui sait être reconnaissante et qui n'oublie pas qui a été un vrai grand-père pour nous.
Cet homme qui n'a pas eu peur d'accueillir une femme cassée et ses cinq enfants un peu perdus.
Celui qui savait ce que se saigner aux quatres veines voulait dire, et qui n'a pas hésité à le faire pour ces enfants-là.
Pour qu'ils ne manquent de rien, et qu'ils aient une “situation”.
Cela a été le but de sa vie, et sa grande fierté d'y être parvenu.
Il a eu tout autant d'attention pour ses petits-enfants.
Petite il m'impressionnait un peu par sa grande taille et son air un peu bourru, sérieux,
Mais c'était un coeur tendre, incapable du moindre mal.
Pendant plus de cinquante ans, il a pris chaque année un permis de chasse, et tous les dimanche matin, il partait tôt avec ses chiennes, le fusil en bandoulière.
Il n'a jamais rien ramené de ses chasses, je pense même qu'il n'a jamais tirer un seul coup de fusil de sa vie.
Je l'imagine débusquer une quelconque bestiole, épauler son fusil, viser.....et être incapable d'appuyer sur la gâchette tant tuer n'était pas dans sa nature.
Je me souviens même l'avoir vu pleurer comme un enfant, sans retenue, le jour où une de ses chiennes est morte.
Ces escapades dominicales étaient juste le prétexte à de longues promenades solitaires en forêt.
Sa bulle d'oxygène à lui je suppose.
Il était un peu magicien pour nous. Il avait l'art et la manière de nous raconter des histoires toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Et nos âmes d'enfants ne demandaient qu'à y croire.
Mon frère ainé se souvient encore de cet été où il lui avait fait planté une pièce de monnaie.
« Arrose là tous les soirs, occupe toi bien d'elle et tu verras bientôt apparaître un arbre à billet »
Il y a passé ses vacances, la première chose qu'il faisait le matin était d'aller voir si l'arbre à billet avait poussé un peu dans la nuit.
Et un matin, un arbre extraordinaire plein de billet est en effet apparu.
En fait un simple bout de bois sur lequel était accroché un billet de cinquante francs, mais aujourd'hui encore mon frère jure l'avoir vu cet arbre à billet, tant mon grand-père avait su être convainquant.
Et mine de rien, mon grand-père lui a appris la persévérance et la patience cet été là.
Il avait instauré pleins de petits rituels avec nous.
Comme celui de nous glisser chacun dans la main discrètement une pièce de dix francs au moment des au revoir à la fin des vacances.
Nous avions tous vingts ans passés qu'il le faisait encore, et jamais aucun d'entre nous ne lui a fait la moindre remarque à ce sujet.
Je regrette de ne pas avoir garder la dernière pièce.
Il était de son temps, c'est à dire plus tout à fait du notre.
Il avait des habitudes qui nous semblaient si bizarres et qui nous faisaient rire alors.
Il ne sortait jamais autrement que chaussés de sabot en bois fourrés^^
Mais quand il nous promettaient un coup de pied aux fesses, on se tenait tous à carreaux du coup.
Il ne buvait que du lait de ferme qu'il allait chercher tous les matins avec son pot à lait en fer blanc.
Il n'était pas question pour lui de nous faire boire de cette saloperie en brique « dont on ne savait même pas de quelle vache elle était sortie »
Toute sa vie, je l'ai vu mangé de la soupe aux légumes à tout les repas, petit-déjeuner compris.
Cela a même été son dernier repas.
Et à chaque fois, le même rituel: le « chabrol »
Cette habitude qui consistait à rincer son assiette de soupe en y versant un peu de vin pour le boire ensuite.
Aujourd'hui encore, à chaque fois que mes frères et moi avons l'occasion de manger une soupe ensemble au cours d'un repas, il y en a toujours un qui lance aux autres un: « chabrol? »
Et les autres de répondre: « oui, chabrol:-) »
Même mes belles soeurs s'y sont mises.
C'était une véritable force de la nature, un « dur au mal ». Il n'a été malade que deux fois dans sa vie.
La première fois quand l'armée l'a envoyé faire son service militaire dans les « colonies » (au Maroc je pense)
Il en est revenu avec une maladie tropicale, je n'ai jamais su laquelle.
Mais cette maladie l'a empêché de s'enrôler dans l'armée lors de la seconde guerre mondiale.Il en a ressenti une grande honte alors, et a trainé ça toute sa vie.
Non pas qu'il ait été un fou de guerre, mais il avait un grand sens du devoir, et ne pas avoir pu servir son pays à ce moment là a été une grande blessure pour lui.
Il vivait en plus dans une région qui a payé un lourd tribu à la guerre, et il a vu nombres de ses amis ne pas en revenir.
Mais il était cheminot, et la légende familiale raconte qu'il a fait exploser plusieurs wagons de marchandises allemands.
La seule fois où j'ai osé lui demander si c'était vrai, il a balayé ma question d'un geste et m'a dit: « petite, ces histoires appartiennent à un autre monde, ne t'en préoccupes pas »
Je ne sais toujours pas si cette légende était vrai ou pas, mais je sais que de toute façon s'il l'a fait ce n'était pas pour rentrer dans la légende.
Sa seconde maladie a eu raison de lui.
Il a lutter pourtant, plus de dix ans.
Il a été si courageux!! Lui, dont un des plaisirs dans la vie était de courir sa région à la recherche du petit restaurant fabuleux qu'il nous ferait découvrir ensuite,a fini presque sans estomac. Il ne pouvait quasiment plus rien avaler. La seule chose qui passait, c'était la soupe de légumes de Georgette (ma grand-mère).
Il n'était plus que l'ombre de lui-même à la fin, mais conservait dans son regard une force et une détermination incroyable.
Avec le recul je m'aperçois qu'il n'a baissé les bras que lorsqu'il s'est aperçu que ma grand-mère qui luttait avec lui, était à bout de force. Alors, il a laissé la maladie remportait la bataille.
Il a fini sa vie à l'hôpital. Comme je ne travaillais pas encore à l'époque, j'ai passé deux semaines chez ma grand-mère, pour l'aider un peu, l'accompagner tous les jours à l'hôpital le voir.
La dernière fois que je l'ai vu, comme j'avais réussi à me convaincre qu'une fois de plus il allait mieux, je lui ai dit au revoir avec confiance, et le sourire aux lèvres.
Quand je lui ai fait la bise ce jour-là, il m'a lancé un regard qui m'a troublé, un regard plein de larmes. Je sais aujourd'hui qu'il essayait de me dire adieu mais je n'ai pas su ou pas voulu le voir.
J'ai botté en touche en lui disant: « allez! À bientôt pépé René »
Il est mort une semaine après.
Ce soir-là, je m'étais endormie devant la télé, et j'ai rêvé de lui. Il était là devant moi dans mon appart, il me faisait la bise en me glissant une pièce de dix francs dans la main.
Je me suis réveillée en sursaut. Une heure après environ, le téléphone sonnait.
Je n'ai pas versé une seule larme à son enterrement, je crois avoir mis plus de six mois à le faire.
Si je t'écris tout ça ce soir Illou, c'est pour te faire comprendre que plus de dix ans après, les souvenirs qu'il me reste de mon grand-père, ce ne sont pas les mauvais, ceux de l'hôpital.
Ceux là me reviennent en mémoire que si je pense à cette période précise.
Ceux qui subsistent au bout d'un moment, ce sont les bons.
Les histoires de sabot, d'arbre à billet, de pièce de dix francs ou de chabrol:-)
Ils étaient beaux nos grands-pères mon illou:-)
dimanche 5 octobre 2008
Mon grand-père, ce héros...
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1 commentaire(s):
Ils veilleront toujours sur nous mon amour :) Je suis certain que mes grand-pères, sachant ce que tu représentes pour moi, veillent autant sur moi que sur toi. Et je suis certain que ton grand-père en fait de même :)
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